Dans son article paru dans le monde du 3 février 2019, Elisabeth ROUDINESCO nous fait part de ce qu’elle a choisi d’interroger sous ce titre plutôt provocateur : « Les psychanalystes ont contribué à leur propre déclin ».
Ce titre provocateur possède en lui-même une équivocité dans laquelle aussi bien la culpabilisation que la position masochique se font entendre, restées reliées à une particulière défection, à un glissement des héritiers de la psychanalyse devenant ainsi les Méphistophélès du 21ème siècle ?
En effet, auraient-ils alors vendu leur âme, eux qui, il y a encore quelques décennies, étaient appelés «médecins de l’âme » ?
E. ROUDINESCO avec ce titre très accrocheur pose comme évidence, à la forme affirmative, que les psychanalystes ont contribué à leur propre déclin. Tel nous le relevons puisqu’aucune ponctuation n’y vient faire arrêt, hormis les guillemets qui informent qu’il s’agit de la citer.
En fait, dans cet écrit E. ROUDINESCO passe au microscope les réalités du faire psychanalytique et nous le présente, selon nous, avec la dramaturgie propre aux tragédies antiques, au théâtre avec le repérage par nous, d’une unité de temps, de lieu et d’action.
L’unité de temps : celui de la modernité du 20ème siècle.
Le premier acte est posé dans un premier temps : la mort du « dernier grand penseur du freudisme » entraînant l’observation d’une modification de la situation de la psychanalyse. La mort de J. LACAN.Le déclin s’origine de la mort du dernier penseur du freudisme…ainsi, la présence de psychanalystes resterait liée au fait que la mort…de LACAN, comme pour des troupes armées en action, aura entamé son œuvre de dispersion voire de disparition.
L’unité de lieu : celui de la scène universitaire.
Le deuxième acte est l’opinion publique qui ne met guère de nuances entre psychanalyse et psychothérapies ce qui aboutit à une ambiguïté. Le signifiant psychanalyste se retrouve ainsi, englué, perdant quelques-unes de ses lettres au passage avec désormais le terme psys, certaines de ses caractéristiques ayant été dissoutes dans le monde ambiant contemporain scientifique, analyste a disparu du discours social. L’université, elle-même, est en train de reculer car ses derniers bastions vont céder : la pression de la foule est trop forte ? Ne pourrait-on pas alors le lire comme un passage en – dessous de la barre, comme ayant pris une place, celle du sujet, lié au refoulé… ce que FREUD avait déjà exprimé de ce rapport de la Société de son époque, fermée à la psychanalyse pour cause de refus de cet originaire sexualisé?
E. ROUDINESCO souligne , de surcroît, la relation aux multiples thérapeutiques dont celles liées aux influences du cerveau et de son fonctionnement.
Nous posons à partir de son analyse, que le monde est devenu très féru de bonheurs à petites gouttes, de doses appelées psychotropes et de la force du corps agissant. Nous devrions ainsi y lire le rôle de la pharmacologie comme une invasion ; celle de la psychopharmacologie sur les rives de l’inconscient. Ce qu’aura tenté le Manifeste pour un printemps de la psychiatrie afin d’en circonscrire les avancées semblable aux batailles titanesques destinant un gagnant et des perdants .
La tragédie n’est-elle pas toujours ainsi?
L’unité d’action : celle des livres ou des médias.
Selon elle, les librairies diffusant les ouvrages de psychanalyse se seraient réduites en peau de chagrin que seule, la librairie ÉRÈS continuerait d’accueillir sous sa tente.
Cette librairie ÉRÈS, nous la posons, suite à l’évocation phonématique de son nom, comme celle d’une divinité grecque, peut-être CÉRÈS, voire ATHÉNA, incitant à lutter, à se sauver de la séduction, ici, celle du pharmakon. ATHÉNA convoquant le mariage des esprits, la fécondité de l’esprit et empêchant ce qu’E. ROUDINESCO entrevoit à l’horizon, celle d’un « objet muséographique ».
La tragédie n’a t-elle pas besoin de ses héros et héroïnes ?
Or, E. ROUDINESCO décrit une situation où ce ne serait plus les dieux allongés qui joueraient aux dés avec le destin des Hommes mais des psychanalystes, en allongeant des dieux politiques sur le divan médiatique, seraient devenus des acteurs de leur propre déclin. Elle pose l’existence d’un sérail gardé non par des eunuques mais constitué de femmes, de cliniciens ce qui nous laisse entendre une mixité celle d’hommes et de femmes autour d’une même cause.
J. LACAN a bien insisté pour dire qu’il n’y a pas de rapport sexuel dans l’inconscient, seul demeure le phallus, celui du manque autour duquel s’organise le sujet.
Quelle serait alors la nature de ce qui est en jeu dans ce déclin annoncé ? L’absence, le manque de , le rapport à la parole ?
Ainsi, G. ROSOLATO vient dans son article (1) « psychanalyse transgressive » combler cette absence nous semble t-il. En effet, il appela ainsi cette psychanalyse dont les pionniers furent S. FERENCZI, O. RANK, W. REICH dans un souci d’expérimentation mais aussi de démarque par rapport à la psychanalyse orthodoxe mais également de défiance vis-à-vis de ses piliers techniques. Ils créèrent, nous dit-il, de façon transitoire, un effet libérateur avec cette transgression dans le but d’arriver au processus analytique proprement dit, à cette libération que doit amener, chez le patient, la fin de sa psychanalyse. Cette expérimentation devint la matrice d’où s’originent beaucoup de méthodes thérapeutiques décrites par E. ROUDINESCO. Celles-ci reposeraient en fait selon G. ROSOLATO, sur cette idée de faire vivre et revivre le corps en instaurant une autre focale : la « réparation et soins idéaux »(2).
Dans sa conclusion, E. ROUDINESCO pointe, non sans ironie « il ne faut pas désespérer quand on sait que des milliers de cliniciens français, formés dans le sérail d’un freudisme intelligent, consacrent leur temps à soigner des enfants en détresse, des malades mentaux en perdition ou des familles meurtries ».
Serait-ce que les psychanalystes se sont enfermés dans un tel jargon qu’ils semblent avoir fondé une nouvelle race d’hommes : la Planète des PSYchanalystes dont quelques-uns semblent avoir émigré loin de cette planète, en faisant à nouveau transgression ?
Qu’est la psychanalyse ? Que vise t-elle ? Quelle demande est à entendre de la part de la société?
LACAN dans son article « Variantes de la cure-type », a battu en brèche cette idéalisation de la fin de l’analyse par une identification au Moi de l’analyste, prévenant de s’en bien garder. Il ne s’agirait pas d’identification à cette maturité psychique figée dans une relation moïque, mais à traverser ce fantasme d’où chaque sujet s’est originé, s’est constitué à partir du désir du Autre, du rapport au Langage.
Nous comprendrons ainsi que faire la part de l’imaginaire de celle du fantasme et du symbolique, reste la pierre angulaire de la psychanalyse freudienne où, avec l’apport de J. LACAN, elle s’enrichit du Réel et du nouage entre ces trois éléments.
G. ROSOLATO rappelle que la cure analytique vise à l’analyse des conflits, des fantasmes inconscients, du transfert et des résistances avec l’interprétation des contenus, des signifiants formant ainsi l’assise de la technique.
Nous ne pouvons omettre ce que J. LACAN proposa de nommer à savoir : la coupure signifiante. L’inconscient étant structuré comme un langage, les signifiants restent actifs, soumis à une logique où sous la férule du désir, ils se manifestant dans leur polysémie, et dans les lapsus. C’est la fonction du signifiant et du symbolique.
Alors, oublieux ceux et celles qui ne citent pas dans quelle optique fut amorcée cette psychanalyse transgressive, et appliquent avec une rigueur toute méthodique cette thérapie pour chaque sujet ?
En effet, celle-ci donna lieu, et G. ROSOLATO l’affirme avec force, à de nouvelles techniques basées sur des idées faisant la part au retour à la nature humaine, à la recherche du bonheur, à la guerre aux contraintes mais aussi à faire émerger la surprise dans une économie du temps dans la cure. Selon lui, il s’agissait dans cette forme de psychanalyse transgressive, de la faire reposer sur trois tendances afin d’accélérer, et de faciliter cette durée de la cure, en omettant le sens et la direction fondamentale de la cure :
– les techniques actives vont porter à l’excès la résistance par l’activité et favoriser la remémoration pour la perlaboration (par injonctions, intervention dans la réalité du patient, l’inviter à fantasmer pour stopper une logorrhée dans la cure ; ou celles mettant à l’épreuve le déplaisir et le masochisme; l’école de PALO-ALTO ;
– les méthodes de suppléance d’un manque lié et subi dans l’enfance sur un mode compensatoire retrouvable dans les psychothérapies, la reconstitution du patient aboutissant aux expériences bannissant le rôle du langage et du symbolique (Bio énergie- cri primal) ; ou la psychanalyse supplétive (D.W WINNICOTT) qui fut source d’inspiration pour beaucoup de cliniciens et aboutissant au maternage à tout prix.
– les techniques corporelles.
Combien la catharsis et la suggestion en sont devenus les moteurs, mais restent si oublieuses de cette perlaboration freudienne, ou cette traversée du fantasme pour J. LACAN. G. ROSOLATO souligne aussi combien cette psychanalyse transgressive a fait souffler un vent de réflexions, de mises au travail des attitudes corporelles, du corps en acte chez le patient, et convoqua l’invention « en rapport avec le mouvement théorique contemporain »(3). Mais il rappelle que le système sémiotique a à s’articuler au symbolique, au verbal. Il souligne que les techniques nouvelles, brèves en ont résulté, mais relèvent de «l’ère pré-freudienne (4)». La sémiotique reste pour G. ROSOLATO, inscrite dans le non-dit. Il s’agit surtout avec ces techniques découlant de la psychanalyse transgressive, d’une « mystique du corps et du sexualisme… de la suppléance maternelle.. de l’idéal de la vie naturelle »(5) s’installant dans le lien à la psychanalyse.
Il y a donc élision.
L’histoire de la psychanalyse se répète t-elle en faisant de nouveau un tour, ou devrions-nous dire un tore ?
En effet, E. ROUDINESCO nous informe que deux actes n’auraient pas été posés dans le sens attendu:
– la question du mariage pour tous,
– la question de l’autisme ;
mais, qu’en outre, ce déclin serait lié aux positions psychiatriques malmenées et démantelées avec le D.S.M ainsi qu’au jargon de psychanalystes qu’elle a référé à « l’entre-soi » .
En fait, ne pourrait-on y reconnaître de nouveau :
- – ce qui fit débat du temps de S. FREUD et s’exprima par une forte opposition à la psychanalyse dans ses débuts : le rôle du narcissisme originaire et du sexuel originaire, la place du Sujet ?
- – et que S. FREUD pressentait, sans doute, cette avancée à reculons chez cetHomo sapiens, en écrivant déjà « Je suis de loin aujourd’hui au niveau de quels symptômes réactionnels se produit l’entrée de la psychanalyse dans la France longtemps réfractaire (6). On croirait la reproduction de faits déjà produits (…) la délicatesse française est choquée du pédantisme et de la lourdeur de la nomenclature psychanalytique »(7). Rappelant combien la cure psychanalytique ne se réclame pas de la magie. C’est un travail de parole qui ne peut aboutir qu’après des mois, voire des années et non de réalisation rapide et miraculeuse sinon, elle en serait (ironie freudienne selon nous) une « magie lente » (8) . La cure psychanalytique réclame, pour qu’elle puisse être réduite, d’être «accomplie correctement » selon lui.
Aussi, pour conclure, nous ajouterons que FREUD balaya cette apparente évidence que seule la psychiatrie serait concernée « Il n’est plus possible de réserver aux médecins le monopole de l’exercice de la psychanalyse et d’en exclure les non- médecins »(8).Il ne s’agissait donc pas, pour lui, que du seul exercice par des médecins psychiatres, mais de l’exercice par ceux qui ont reçu « une instruction spéciale en ce domaine (..) et le non – médecin peut, de par une préparation appropriée (…) aussi bien accomplir la tâche de traitement analytique des névroses»(9).
J. LACAN, P. AULAGNIER, F. TUSTIN et bien d’autres, affinèrent avec leurs contributions théoriques ce travail psychanalytique dont le traitement des psychoses, le travail avec la personne autiste, la personne névrosée, la personne en souffrance , que nombre de cliniciens contemporains en continuent l’approche avec cette éthique, ce souci de la vérité du Sujet, cette pratique soumise à la constante remise -en – question qui, seules, légitiment leur pratique et dont ils ont à rendre compte à leurs pairs .
Alors, de quel véritable déclin serait-il question ? Ne serait-ce pas celle du Sujet de la parole ?
En cela, ANTIGONE, ULYSSE et tant d’autres de la tragédie, nous en ont tracé la ligne d’horizon.
Marie-Line LOUISE-JULIE Mars 2019
1 Guy ROSOLATO Topique n°26 Revue freudienne – EPI – Paris 1980
2 op cit p72.
3 G. ROSOLATO op cit p.80.
4 ibid
5 op cit p81.
6 nous qui soulignons.
7 S. FREUD Ma vie et la psychanalyse Paris Gallimard-1972. p 76-77.
8 op cit p. 100.
9 op cit. p.87.