“Variantes de la cure type” de J.LACAN par Josiane DESROSES

“Variantes de la cure type” de J.LACAN par Josiane DESROSES

Certains points interrogés par LACAN dans ce texte de 1955 : « Variantes de la cure type » 1nous sont apparus d’une grande actualité par rapport aux questions qui se posent à la psychanalyse aujourd’hui :

  • La place occupée par la psychanalyse dans le soin psychique avec tous les débats initiés autour des psychothérapies et concrétisés par une législation sur l’exercice de la profession de psychothérapeute. Ces débats sont venus favoriser des interrogations sur la pratique de la psychanalyse et inviter les psychanalystes à préciser ce qui est au fondement de leur pratique, les positions sur lesquelles ils ne peuvent céder, c’est-à-dire leur éthique.
  • L’évolution des formes cliniques auxquelles le psychanalyste a affaire dans sa pratique (l’anorexie-boulimie, les toxicomanies et les comportements à risque chez les adolescents, les dépressions, les troubles de l’humeur, etc..). Il se rend bien compte comment dans cette clinique se fait entendre le « malaise dans la civilisation ».
  • Alors, comment maintenir la place de la psychanalyse dans la société actuelle? Comment éviter les déviations? Comment les repérer et « faire de leurs écueils balise à notre route »? (LACAN: « La direction de la cure et les principes de son pouvoir »2). Donc, comment prendre en compte ces déviations possibles pour mieux maintenir la place du psychanalyste?

 

Sommes-nous ainsi au cœur du débat concernant la « cure-type » et ses « variantes » ?

Cette intervention de LACAN, en 1955, trouve place au moment où le travail de la cure est orienté sur l’analyse du moi et des défenses du patient. Cette écoute du moi du patient nécessite une alliance avec son « moi autonome ». C’est donc le moi de l’analyste qui assurerait la direction de la cure et sa fin déboucherait sur une identification au moi fort de l’analyste. Ainsi, dans l’interprétation se trouverait une part de suggestion et cette interprétation relèverait surtout du « savoir de l’analyste ».

Ce qui constitue une déviation par rapport à la position Freudienne, puisque dans ce cas, la relation analytique se détache de l’écoute du discours du patient et la question de « la vérité du sujet » est mise en suspens.

« La situation ainsi conçue, dit LACAN dans « La direction de la cure », sert à articuler un dressage du moi dit faible par un moi qu’on aimerait à croire de force à remplir ce projet car il est fort ». Il s’agit donc du dressage d’un moi faible, celui du patient, par un moi fort, celui de l’analyste.

C’est sur ce « projet » que s’est fondée « l’ego psychologie » élaborée par les Américains et qui nous revient sous la forme des « thérapies comportementales », dans lesquelles il s’agit d’amener le patient à modifier son rapport à la réalité par suggestion selon le schéma du « principe autoritaire des éducateurs de toujours » (LACAN in « La direction de la cure »). Certaines thérapies se fondent effectivement sur ce principe autoritaire. A partir de là, les « critères thérapeutiques » vont devenir mesurables et quantifiables.

Cette interrogation de LACAN sur le travail de la cure est donc essentielle. Il nous indique comment une cure dans laquelle une place importante est accordée au moi dans le transfert conduit à une impasse du fait d’une domination de la relation narcissique et de la fonction de l’imaginaire.

                                                                           1

La subversion introduite par LACAN le situe tout à fait dans la lignée de FREUD, au plus près des concepts fondamentaux de la psychanalyse : l’inconscient, le transfert, l’interprétation, conçue comme déchiffrage du matériel de la cure, permettant de trouver « le secret du symptôme », c’est-à-dire ses coordonnées inconscientes.

LACAN souligne ainsi l’importance de la parole en tant qu’elle introduit une « médiation entre les sujets ». C’est dans cet au-delà de la parole et du discours que vont se faire entendre la dimension de l’inconscient et la division subjective. La parole est à entendre comme un acte; un acte qui suppose un sujet et l’analyste est celui qui « porte la parole »c’est-à-dire celui qui permet au sujet de « reconnaître dans ce qu’il dit la vérité naissante de sa parole particulière … Cette parole est affaire d’un sujet de l’inconscient ». Dans ce qui se dit, le sujet de l’inconscient est aussi bien du côté de l’analysant que du côté de l’analyste : « l’analyste ne peut être que lui même en ses paroles et l’inconscient se ferme pour autant que l’analyste ne porte plus la parole parce qu’il sait déjà ou croit savoir ce qu’elle va dire ». En fait, ce savoir de la théorie concerne l’imaginaire et ne peut que constituer une entrave à l’écoute. Ce n’est pas sur un tel savoir que l’analyste va s’appuyer pour que la parole « porte ».

Pour FREUD, la science analytique doit être remise en question dans l’analyse de chaque cas. Aucun formalisme ne peut amener de garantie au niveau de sa pratique. Il va encore plus loin en affirmant que la diffusion de la psychanalyse à l’échelle sociale peut entraîner une fermeture de l’inconscient et que c’est un des effets auquel on pourrait s’attendre.

N’est ce pas ce à quoi nous assistons en ce moment avec ce projet de légiférer sur l’interdiction de la psychanalyse dans le traitement des autistes? On peut aussi en mesurer les effets dans les demandes impératives adressées à la psychanalyse, sommée de prouver ses critères thérapeutiques sous forme d’évaluations et de démontrer la vérité scientifique dont elle peut se soutenir. C’est ainsi que l’INSERM mène des recherches sur l’évaluation des « thérapeutiques psychanalytiques ».

Dans un reportage consacré à la psychanalyse sur France Inter (l’émission « La tête au carré » – 02-2012), les questions du journaliste étaient très précises :

  • est-il possible d’évaluer scientifiquement les effets de la cure analytique?
  • les recherches en neurosciences peuvent-elles apporter des réponses à ces interrogations?
  • quel est l’avenir de la psychanalyse?

 

Pour ceux qui mènent ces recherches, la science permet un éclairage de la psychanalyse. Si elle le refuse, c’est de l’obscurantisme. Différentes expériences sont menées en ce sens, dont une à l’ Institut Sigmund Freud à Francfort.

Il s’agit d’utiliser l’imagerie cérébrale pour faire de la neuroscience avec la psychanalyse. Le projet est d’observer les changements neuronaux avec des EEG et IRM du cerveau à partir de l’étude des rêves d’un patient.

Nous voyons donc que dans l’évolution de la société un cap est en train d’être franchi dans les « déviations » dont parlaient FREUD et LACAN. Nous savons que ce qui « interdit » fait retour par d’autres voies.

Comment faire pour que ces « nouveaux écueils » dont parlait LACAN, servent de « balise à notre route »?

Pouvons-nous trouver des éléments de réponse dans ces remarques de LACAN, si nous les entendons dans toute leur actualité ?

« Pour situer l’analyse à la place éminente que les responsables de l’éducation publique se doivent de lui reconnaître, il faut l’ouvrir à la critique de ses fondements faute de quoi elle se dégrade en effets de subornement collectif »; c’est-à-dire qu’elle se détourne de sa route. Il ajoute également que « pour apporter la clarté sur la question de ses variantes une certaine discipline intérieure est nécessaire ». Il semble que dans ce passage il fasse référence à l’éthique de la psychanalyse, quand il parle de ses fondements et à la formation du psychanalyste, quand il évoque cette nécessité d’une discipline intérieure.

                                                                           2

La question des « variantes » peut-elle aussi être entendue comme variété des formes d’intervention du psychanalyste? Ce qui ne peut être possible ou envisageable qu’en ayant une position claire sur :

  • Ce qui est au fondement de sa pratique, c’est-à-dire la rigueur de son éthique et des concepts qui fondent sa pratique : la répétition, l’inconscient, le transfert, la pulsion comme LACAN l’indique dans « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse »3
  • Les exigences de sa formation.

 

Quelles que soient les conditions de sa pratique, ce qui guide l’action du psychanalyste c’est l’élucidation des enjeux inconscients de la parole : « porter la parole »; ce qui nécessite son implication subjective et le maintien d’une ouverture à la dimension de l’inconscient.

Dans tous les cas, soutenir une position d’analyste nécessite une prise en compte du champ de la parole et du langage, de ses achoppements, des phénomènes liés à l’inconscient; ainsi que le passage par sa propre expérience de la cure et un travail sur les déterminations inconscientes de son désir.

L’inconscient ne peut se prêter à des calculs, à des points repérables à l’avance puisque son surgissement se situe dans l’après- coup. La pratique analytique n’est pas une application de concepts théoriques et de protocoles.

L’évolution de la société avec ses exigences d’efficacité immédiate, la primauté des individualités, des jouissances immédiates, l’intolérance aux frustrations, tout cela n’est pas sans conséquences sur les pratiques de soins psychiques.

En psychiatrie, c’est l’abord cognitiviste et biologique qui est privilégié et sur le plan psychologique, ce sont les techniques de soutien du Moi dont l’objectif est de faire disparaître le symptôme. Ce qui laisse de moins en moins de place à la psychanalyse. Celle-ci est donc sommée de prouver son efficacité par des évaluations objectives et des outils scientifiques. Efficacité, c’est le maître-mot qui guide toute l’affaire pour en arriver à cette aberration de l’évaluation pour l’évaluation.

Et après? Après avoir « traité le dossier », qu’en est-il du sujet ainsi évacué? Comment va-t-il se faire entendre? Se pourrait-il que ce soit dans un forçage, dans la violence du passage à l’acte tel qu’il se présente de plus en plus fréquemment dans nos sociétés, nous faisant entendre « le malaise dans la civilisation » dont parlait FREUD : l’acte en lieu et place de paroles subjectivantes ?

Plus que jamais la dimension subversive de la psychanalyse à l’écoute de la subjectivité et de l’Altérité est nécessaire !

C’est le cap que nous essayons de maintenir au G.A.R.E.F.P.

Mars 2012

Josiane DESROSES

Références

1J.Lacan – Variantes de la cure type – Les Ecrits Editions du Seuil.

2J. Lacan : La direction de la cure et les principes de son pouvoir – Ecrits – Editions du Seuil.

3J. Lacan : Le Séminaire – Livre XI – Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse – Ed. Du Seuil

                                                                                       

Partager cet article :